Chroniques de confinement : 18 mois dans la vie de madame B…
Dans cette période de confinement, si singulière et intense, Nathalie PORZIO, Conseillère en Insertion Professionnelle au sein d’Unis Vers l’Emploi nous livre ses réflexions et des témoignages de personnes avec lesquelles elle est en contact et qu’elle accompagne dans différents dispositifs de retour à l’emploi. Femmes et hommes trop souvent invisibles et inaudibles.
« Il m’importait de partager leur quotidien avec une double ambition : donner la parole à ces femmes et hommes qui me sont si chers et qui m’apportent tant chaque jour, et partager la réalité, les multiples facettes et la richesse du métier de chargé(e) d’insertion professionnelle ».
18 MOIS DANS LA VIE DE MADAME B….
Assistante de direction, Madame B a rejoint la France après son mariage. Elle a rencontré celui qui allait devenir son époux, lors de vacances.
Les premiers temps du mariage sont idylliques. Très vite les rapports changent et la violence s’installe dans le couple.
Madame B se tait. « Je prends sur moi ».
Madame B est issue d’un milieu favorisé. Elle n’ose pas parler de cette situation à ses parents de peur de les inquiéter. Elle est seule, isolée dans un pays étranger dont elle maîtrise mal la langue et méconnait l’environnement socio-culturel.
Je la reçois fin 2017 dans le cadre d’une prescription PLIE (dispositif d’accompagnement renforcé vers l’emploi) pour un diagnostic. Je valide son entrée. L’objectif de l’accompagnement étant centré sur l’emploi : projet professionnel à construire, amélioration du niveau linguistique et recherche de formation qualifiante.
Durant l’été 2018 que Mme B me raconte avec beaucoup de pudeur et de retenue les violences, quotidiennes, qu’elle subit depuis des années.
« Est ce que c’est votre travail de m’aider aussi pour ça ? »
Démunie, elle n’a jamais été en lien avec les services sociaux. Son trouble et son angoisse sont palpables.
Elle est terrorisée. » Je suis perdue. J’ai l’habitude maintenant. Mais j’ai peur et j’ai honte. Honte de supporter tout ça. »
Madame B ne dit pas « mon mari » mais « lui ». Une manière de se protéger, de mettre une distance sémantique avec son agresseur, sans doute.
Immédiatement, je contacte plusieurs associations spécialisées dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Un rendez-vous est pris en urgence. Mme B sera reçue rapidement. En parallèle nous prenons rendez-vous auprès d’une avocate qui assure des permanences gratuites au tribunal.
Je demande au CCAS la domiciliation de Mme B, afin d’éviter que des courriers administratifs ne viennent déclencher de nouveaux accès de violence.
Mme B est à l’abri pour l’instant : elle est hébergée. Je suis soulagée.
Lors de nos RDV, Mme B évoque ses entretiens avec un conseiller de l’association spécialisée dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Elle est également orientée vers un psychologue.
On lui conseille de porter plainte, elle refuse. Elle a peur. Son agresseur a déjà été condamné pour des faits similaires. Elle craint des représailles.
Les démarches doivent se faire dans le plus strict secret. J’ai des difficultés à avoir un lien avec l’association, submergée de demandes.
Madame B n’est pas une « bonne victime ». Toujours élégante, digne, pudique. Elle n’incarne pas l’image de la femme violentée. Elle n’en porte pas les stigmates.
Mme B reste active.
Elle souhaite progresser en français. Je l’inscris donc à des cours de français, elle passe avec succès le DELF B2.
A chaque RDV, la question des violences devient lancinante. Je propose à Mme B des actions afin de l’éloigner au maximum de ce domicile qui la terrorise, en parallèle de nos RDV réguliers.
Elle accepte et participe à de nombreuses visites culturelles, des ateliers sur l’estime de soi, des séances sur la préparation à l’entretien d’embauche, ateliers organisés en interne.
Elle se transforme petit à petit : elle prend confiance, ose s’exprimer, faire part de ses sentiments, de ses expériences. Son employabilité s’accroit à mesure que son image d’elle-même se restaure. Mme B prend conscience de ses compétences.
Durant l’hiver 2019, elle entame une action de formation centrée sur son projet professionnel. Elle se sent prête et envisage l’autonomie financière pour accéder à son propre logement.
Elle porte son choix sur le métier de fleuriste. Un stage confirme son choix. Une formation est nécessaire. Madame B réussit les tests d’entrée en formation.
Février 2019 : Madame B éclate en sanglots. « Je ne peux pas suivre cette formation, je n’en ai pas la force. Je veux quitter mon domicile. Je ne peux plus vivre ces violences, ces menaces, ces insultes ». Alors hébergée par une amie, elle semble mesurer désormais la violence qu’elle subit et commence à entrevoir un avenir serein, sans son agresseur.
L’association luttant contre les violences conjugales a bien conscience de l’urgence de la situation de Madame B, mais elle est submergée par les demandes, et peine à faire face.
Mon interlocuteur propose de recevoir Mme B au plus vite. Elle quitte mon bureau avec l’esquisse d’un sourire aux lèvres.
J’entends, je comprends les difficultés de l’association, mais je me sens démunie face à l’impossibilité pour moi, pour l’association, pour la collectivité, d’apporter une réponse à la demande de Madame B.
L’annonce du confinement intensifie mon inquiétude.
Matinée du mardi 17 mars, je réactive une ultime fois la demande.
Je suis appelée l’après-midi même. Mes interlocuteurs ne s’expliquent pas les dysfonctionnements subis par Madame B dans la gestion de sa situation. Moi non plus, mais l’urgence n’est pas à une polémique stérile. Madame B ne peut rester confiner avec son mari. Des mesures doivent être prises pour la protéger au plus vite. Nous en sommes tous convaincus.
Mme B sera immédiatement appelée : un logement autonome lui est proposé en fin de semaine.
Jeudi 26 mars : Madame B est installée, en sécurité dans son propre logement.
Mon émotion éclate lorsque je la retrouve au téléphone. Son enthousiasme et son soulagement s’expriment, enfin : « Je suis chez moi. Je n’ai plus peur. L’appartement est magnifique. J’ai ma clé à moi. Je peux dormir sans crainte. Il y a même des coussins sur le canapé ! J’ai du mal à réaliser tout ça. L’association a tout organisé. Merci de m’avoir crue. Merci de m’avoir soutenue, merci pour votre ténacité ».
Merci Mme B pour vos mots. Merci pour votre courage, votre patience, votre dignité, votre combativité. Merci pour votre confiance.